Caractérisation génomique de la leucémie prolymphocytaire B : un modèle hiérarchique pronostique impliquant les gènes MYC et TP53.
Chapiro E, Pramil E, Diop M, Roos-Weil D, Dillard C, Gabillaud C, Maloum K, Settegrana C, Baseggio L, Lesesve JF, Yon M, Jondreville L, Lesty C, Davi F, Le Garff-Tavernier M, Droin N, Dessen P, Algrin C, Leblond V, Gabarre J, Bouzy S, Eclache V, Gaillard B, Callet-Bauchu E, Muller M, Lefebvre C, Nadal N, Ittel A, Struski S, Collonge-Rame MA, Quilichini B, Fert-Ferrer S, Auger N, Radford-Weiss I, Wagner L, Scheinost S, Zenz T, Susin SA, Bernard OA, Nguyen-Khac F. Blood. 2019 Nov 21;134(21):1821-1831
Ce travail vient d’être publié dans Blood (revue n°1 en Hématologie). L’article a été sélectionné d’une part pour bénéficier d’un commentaire éditorial, et d’autre part pour faire l’objet d’une formation internationale CME (continuing medical education). Ce travail avait été sélectionné en communication orale au dernier congrès international américain annuel (ASH). Il s’agit de la plus grande série mondiale d’une forme agressive de leucémie lymphoïde chronique : la leucémie prolymphocytaire B.
La leucémie prolymphocytaire B (LPLB) a été une entité longtemps débattue au sein des hémopathies matures B, étant souvent classée soit en leucémie lymphoïde chronique agressive soit en lymphome du manteau leucémique. C’est une hémopathie rare, peu étudiée, touchant le sujet âgé, d’évolution rapide, sans facteur pronostique connu. Le diagnostic est difficile car cytologique, établi sur la présence de prolymphocytes représentant plus de 55% des cellules lymphoïdes sanguines.
Nous rapportons ici une étude cytogénétique et moléculaire d’une série nationale de 34 LPLB, la plus grande décrite à ce jour. Le diagnostic cytologique a été revu par 3 experts de façon indépendante. Nous avons montré que la LPLB était souvent associée à un caryotype complexe (> 3 anomalies chromosomiques) et très complexe (> 5 anomalies) (73% et 45% respectivement). Les anomalies chromosomiques les plus fréquentes étaient les translocations impliquant le gène MYC [t(MYC)] (62%), la délétion (del) 17p (impliquant le gène TP53) (38%), la trisomie (tri) 18 (30%), la del13q (29%), la tri3 (24%), la tri 12 (24%) et la del8p (23%). Une grande majorité des patients (76%) présentaient une aberration de MYC, par translocation ou par gain (14%), ces deux anomalies étant mutuellement exclusives. Le séquençage des exomes a permis de mettre en évidence des mutations récurrentes des gènes TP53, MYD88, BCOR, MYC, SF3B1, SETD2, CHD2, CXCR4 et BCLAF1. La majorité des LPLB (89%) utilisait de façon préférentielle les gènes IGHV3 ou IGHV4, et exprimait des IGHV mutés (79%).
Nous proposons un modèle hiérarchique avec 3 groupes cytogénétiques : bas risque (sans anomalie MYC), intermédiaire (anomalie MYC sans del17p), et haut risque avec « double hit » (anomalie MYC et del17p) présentant la survie la plus courte (p=0.0006).
Enfin, nous avons expérimenté sur des échantillons primaires dans des expériences in vitro la combinaison inhibiteur de bcl2 + OTX015 (inhibiteur à bromodomain et motif extraterminal ciblant MYC), et conclu que ces drogues peuvent induire la mort des cellules de LPLB avec translocation t(MYC).
Au total, nous montrons que la LPLB a un profil génomique particulier, différent des autres hémopathies B matures, et confirmons la nécessité de la distinguer dans la classification de l’organisation mondiale de la santé (OMS). Nous recommandons de réaliser une analyse cytogénétique (caryotype et hybridation in situ fluorescente) chez tout patient avec une hémopathie B difficilement classable. Elle apporte d’une part une aide importante au diagnostic, et elle constitue d’autre part un facteur pronostique important.
Pour en savoir plus :
Synthèse grand public
La leucémie prolymphocytaire B (LPLB) a été une entité longtemps débattue au sein des hémopathies matures B, étant souvent classée soit en leucémie lymphoïde chronique agressive soit en lymphome du manteau leucémique. C’est une hémopathie rare, peu étudiée, touchant le sujet âgé, d’évolution rapide, sans facteur pronostique connu, et de diagnostic difficile.
Avec des analyses de cytogénétique et de séquençage à haut débit, nous avons montré que la LPLB avait un profil d’anomalies génomiques particulier, distinct des autres hémopathies B, avec des anomalies fréquentes des gènes MYC (activation) et TP53 (inactivation), deux gènes fréquemment impliqués dans les cancers du sang (leucémies) et des ganglions (lymphomes). De plus, nous avons montré que lorsqu’il existait une anomalie de ces deux gènes de façon concomitante, le pronostic était défavorable. Enfin l’association de molécules incluant des drogues ciblant le gène MYC pourrait être une piste pour traiter certaines LPLB. Nous proposons de réaliser une analyse cytogénétique sur toutes les hémopathies B difficilement classables, car c’est une analyse simple à réaliser, qui s’avère importante pour le diagnostic et le pronostic.
Pr Florence Nguyen-Khac